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Réfugiés : les municipalités aux avant-postes

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Mar 31, 2016 / 0 Comments
   
Al Jazeera America / D. Khamissy

Quand migration rime avec émotion : compte rendu de mission en Méditerranée (1)

 

Réfugiés, migrations, mobilité — autant de phénomènes que les pays de la Méditerranée connaissent intimement : l’histoire prouve en effet que les déplacements de population ont toujours été, quels qu’aient pu en être les motifs, une caractéristique intrinsèque et une réalité pour cette région. Avec le conflit qui s’éternise en Syrie, les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) sont submergés par les flux de réfugiés et cette situation dramatique rejaillit sur toute l’Europe du Sud. La mobilité des personnes, jusque-là parfaitement tolérée, fait désormais figure de casse-tête inextricable pour les pays situés des deux côtés de la Méditerranée. Des appels à une réaction mieux coordonnée commencent à se faire entendre en Europe comme dans les pays MENA, tandis que l’impératif de soutenir davantage les pays d’accueil et, surtout, de faire preuve de plus de solidarité entre les peuples, gagne progressivement du terrain.

 

En mars 2016, j’ai participé au congrès national de l’association des villes italiennes, organisé dans la banlieue de Pescara, sur la côte adriatique. Je devais intervenir dans le cadre d’un dialogue Sud-Nord sur la crise migratoire. Au cœur des discussions, l’expérience accumulée par les autorités locales en Italie, en Grèce et au Liban, et la vision internationale défendue par le Centre pour l’intégration en Méditerranée (CMI). Si je devais reprendre quelques-uns des grands messages de cette rencontre, j’insisterais certainement sur la saturation des pays d’Europe du Sud et de leurs collectivités locales devant ces flux de réfugiés sans précédent. Les intervenants ont expliqué à quel point les municipalités de ces pays se sentaient abandonnées par l’Europe et par leur pouvoir central. Une plongée dans les données brutes devrait nous permettre de mieux comprendre leur détresse.

 

La position géographique de la Grèce et de l’Italie, au Sud de l’Europe, explique qu’ils supportent l’essentiel du fardeau : en 2015, la Grèce est ainsi devenue le premier « pays de transit » de l’Union européenne (UE) pour les réfugiés et les migrants en partance vers les pays du Nord. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus d’un million de réfugiés et de migrants sont entrés en Europe cette année-là, la plupart d’entre eux arrivant par la Grèce. Ce pays, empêtré dans une grave crise économique, doit désormais affronter une crise humanitaire et gérer les conséquences du nouvel accord trouvé entre l’UE et la Turquie. Si l’UE parle à ce propos d’un « tournant », la Grèce évoque plutôt une « charge écrasante ».

 

Et l’histoire est loin d’être terminée : entre janvier et mars 2016, plus de 164 000 réfugiés et migrants sont arrivés en Europe, soit plus de huit fois qu’entre janvier et mars 2015. Une majorité écrasante d’entre eux (150 000 personnes) ont transité par la Grèce, le reste par l’Italie. Pour compliquer encore un peu plus la situation, la route par l’ouest des Balkans, qui relie la Grèce au Nord de l’Europe, est fermée depuis début mars, de sorte que quelque 48 000 réfugiés sont actuellement bloqués en Grèce. Cette fermeture entraînera inévitablement la création de nouveaux itinéraires, avec leur cortège de difficultés : il faut s’attendre à des filières de transit via la Libye, l’Albanie, la Bulgarie, l’Ukraine et, pourquoi pas, l’Espagne.

 

Les municipalités méditerranéennes se retrouvent aux avant-postes pour l’aide d’urgence aux migrants et aux réfugiés : faute de plan de riposte national, les villes grecques ont inventé des dispositifs de réaction. En comptant sur les bonnes volontés, elles font leur maximum pour répondre à cette urgence humanitaire. Pour l’instant, ni le gouvernement central ni l’Europe ne les ont vraiment aidées. En Sicile, le petit port de Pozzallo (19 000 âmes) est la première zone de « débarquement » pour les réfugiés et les migrants. Depuis janvier 2015, il a vu arriver environ 12 500 personnes. En janvier 2016, il est devenu le troisième point chaud « opérationnel » de l’Italie, trois autres devant être créés bientôt. L’Europe a conçu cette stratégie de « hot spots » pour aider ses États membres les plus exposés aux flux de migrants. Le maire de Pozzallo affirme pourtant ne pas avoir vraiment vu la différence. Ce que ses concitoyens et lui souhaitent, c’est qu’on les rassure, alors qu’ils ont le sentiment d’être laissés à eux-mêmes. Interrogé sur la solidarité, il a évoqué, après une longue réflexion, l’histoire de ce « bateau » transportant 35 dépouilles et que la petite ville de Pozzallo ne pouvait pas enterrer, faute de place. Les municipalités voisines ont alors proposé d’accueillir ces voyageurs dans leurs cimetières, pour les inhumer avec dignité au terme d’un si long périple. On aurait pu entendre une mouche voler.

 

Les autorités locales jouent un rôle clé dans la gestion de la crise migratoire en Méditerranée : les migrants visent en priorité les villes, car c’est là qu’ils peuvent trouver un logement, un moyen de subsistance et des services de base. Mais l’afflux de réfugiés en ville soulève un certain nombre de problèmes pour les municipalités et met à mal les capacités d’accueil des communautés hôtes : à l’échelle de la planète, 60 % des réfugiés vivent en ville ; dans la région MENA, ce chiffre atteint 85 %. Pendant notre réunion, les maires ont confirmé être aux premières loges pour tout ce qui concerne l’accueil et l’intégration des réfugiés et des migrants économiques. Ils ont évoqué le mal qu’ils avaient à préserver le bien-être de leurs concitoyens tout en prenant en charge la masse écrasante de nouveaux arrivants, qui méritent d’être traités avec dignité. D’où leur appel à une répartition équitable des responsabilités, des directives concrètes et un soutien de l’Europe — parallèlement à des moyens financiers, un renforcement des compétences, des formations et des échanges de bonnes pratiques.

 

Les échanges interrégionaux sur les pratiques d’accueil contribuent à aider les communautés hôtes les plus récentes à réagir au mieux : fort de sa longue expérience en matière d’accueil de réfugiés et parce qu’il concentre plus de réfugiés par habitant que n’importe quel autre pays dans le monde, le Liban a transmis quantité d’expériences aux municipalités du Sud de l’Europe, démontrant au passage tout l’intérêt du dialogue Sud-Sud. À travers son Programme pour les réfugiés et les communautés d’accueil en Méditerranée, le Centre pour l’intégration en Méditerranée (CMI) soutient certains besoins spécifiques d’apprentissage Sud-Nord dans le but de chercher des solutions à la crise actuelle des réfugiés dans les pays MENA et à ses retombées en Europe. Ce programme vise les communautés d’accueil autour de la Méditerranée, en leur proposant des échanges de connaissances et une assistance technique ciblée. Des dispositifs pour des échanges entre communautés de la région MENA et communautés d’accueil européennes sont en préparation.

Janette Uhlmann

Spécialiste des questions de fragilité, Janette Uhlmann est chargée des opérations senior au Centre pour l’intégration en Méditerranée depuis décembre 2013, où elle dirige le Programme de recherche-action sur les réfugiés et les communautés d’accueil en Méditerranée. Avant de rejoindre le CMI, Janette Uhlmann a passé six ans à la Banque mondiale, comme chargée de programmes senior au sein des départements Moyen-Orient et Afrique centrale. Elle avait auparavant travaillé pour la coopération allemande dans le cadre d’un projet régional de promotion de la gouvernance en Afrique du Nord. Titulaire d’un mastère en relations internationales, Janette Uhlmann a ensuite fait des études de troisième cycle sur les relations internationales au Moyen-Orient. Sa thèse consacrée aux sciences politiques comparées analysait les arbitrages opérés par les bailleurs de fonds européens lors du processus de transition démocratique en Algérie.

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