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Les jeunes, la question identitaire, et la radicalisation

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Jun 06, 2016 / 0 Comments
   
Photo: Reuters / J. Rinaldi

Les deux rives de la Méditerranée sont confrontées aujourd’hui à des difficultés, du désarroi à l'impuissance, et l'extrémisme violent. Les jeunes, premières victimes de ces soucis et de l’exclusion, sont la cible préférée pour les mouvements radicaux. Dans une série de 3 articles Jacques Ould Aoudia présente les facteurs jouant en faveur de la propagation de l'extrémisme violent en région Méditerranéenne. L'auteur identifiera aussi des solutions clés pour sauver les jeunes Méditerranéens de cette menace.

 

Cet article est le troisième dans une série de 3 articles.

 

La question identitaire. Le questionnement identitaire affecte tous les êtres humains : les années de construction de soi comme adulte créent une période de vulnérabilité pour chaque individu[1]. Quand des questionnements identitaires liés à l’origine viennent s’ajouter à ces moments de fragilité, s’ouvre une faille dans laquelle peuvent s’engouffrer les sirènes de la radicalité (devenir un homme, partir dans un ailleurs mythique, passer à l’action une arme entre les mains…).

 

On peut dire que, pour un individu, une situation d’équilibre est atteinte quand il assume sereinement cette multiplicité d’identités, sans angoisse. Un même individu né en France peut être marocain, berbère, européen, méditerranéen, parisien, français, musulman, du quartier de la Bastille ou des 4000 à Aulnay-sous-Bois, du ‘9-3’… Il fera vivre chacune de ses identités selon le lieu, selon le milieu où il se trouve. Au Maroc, ce n’est pas son identité de quartier qui compte, car personne ne connait les noms de tel ou tel quartier des périphéries urbaines de France. Il pourra se revendiquer/être perçu comme français (ou parisien) d’origine marocaine mais ne pourra pas se dire marocain tant il se distingue des marocains de son âge nés au Maroc. De même un groupe de jeunes du quartier T. en banlieue parisienne accueillant des jeunes suédois leur font visiter Paris en s’affirmant comme parisiens, alors qu’ils ne venaient jusque-là à Paris que pour provoquer des bagarres avec des groupes d’autres quartiers de la région parisienne, en restant coincés dans leur identité étroite et stigmatisée de ‘jeunes de T’.

 

Nombre de jeunes ‘de banlieues’ ne parviennent pas à vivre sereinement leurs identités multiples par manque de contacts avec d’autres milieux, dans d’autres situations sociales que celles qu’ils vivent, à l’étroit, dans leur quartier. Une petite partie d’entre eux se laisse ainsi entrainer dans une réduction de ces identités multiples à une seule, simple dans sa radicalité, qui leur est fournie clé en main par les sites djihadistes[2], avec les conséquences funestes que l’on connait.

 

Ainsi, il s’agirait moins d’une ‘radicalisation de l’islam’, que d’une ‘islamisation de la radicalité’. La faible connaissance de l’Islam des jeunes français qui ont perpétré les actes terroristes en janvier et novembre 2015 à Paris plaide en faveur de cette thèse. Si cette hypothèse est valide, alors on peut travailler préventivement sur la question de la radicalité auprès de larges couches de jeunes qui pourraient basculer dans la violence extrême. S’il s’agissait d’une islamisation de la religion, alors cela ferait partie du champ religieux sur lequel les politiques publiques, ou les actions des ONG ont par définition peu de prise.

 

L’entrée par la religion n’est donc pas pertinente pour aborder ces questions de radicalisation, et c’est une bonne nouvelle !

 

Prévention de la radicalisation : Prendre à bras le corps le questionnement identitaire

 

Pour élaborer une politique publique de prévention de la radicalisation, ou pour élaborer un projet en tant qu’ONG dans ce sens, il convient de partir de ces questionnements identitaires, pour en faire une force positive, pour amorcer une ouverture sur d’autres terrains d’inclusion (formation, citoyenneté, emploi…).

 

Le travail doit se concentrer sur la jeunesse, vers ceux qui ne parviennent pas à s’intégrer dans les sociétés dont ils sont membres formellement, juridiquement, sans s’en sentir pleinement partie prenante, sur les terrains de la reconnaissance symbolique, sociale, économique. Ils se sentent des ‘français de papier’. Ce sont ces couches des populations jeunes d’Europe qui forment le vivier des jeunes radicalisés. C’est sur ces couches, incluant les jeunes non-migrants des quartiers pauvres[3], qu’il nous semble prioritaire d’agir.

 

L’approche initiale en direction des jeunes serait de travailler (implicitement) sur les identités multiples des larges couches de jeunes issus de l’immigration ou non, en les aidant à assumer d’une façon apaisée cette multiplicité d’identités. Le plan symbolique mobilise en effet le terrain des émotions existentielles autour de la question cruciale à la période de la vie où l’on bascule dans l’âge adulte : ‘qui suis-je ?’ C’est pourquoi c’est le terrain symbolique qu’il faut investir en premier, en proposant des modèles porteurs de sens, valorisant, comme l’engagement dans la solidarité internationale, dans la préservation de l’environnement, en ayant comme perspective explicite les autres terrains : formation, emploi, inclusion citoyenne…

 

à Des actions à mener. Parmi les actions à mener, il est une disposition simple et peu coûteuse : les chantiers-échanges de jeunes, au sein et entre les pays des deux rives de la Méditerranée. Ces chantiers, constituent un terrain pertinent pour poser à chaque jeune, d’une façon simple et concrète, la question de la multiplicité de ses identités. La rencontre avec l’Autre est précisément le moment où l’identité affichée bascule et permet de composer le ‘bouquet’ d’identités qu’il faudra finir par assumer d’une façon apaisée. Ce travail peut s’accompagner d’une découverte de l’histoire des migrations, la grande Histoire et l’histoire familiale, que les parents ont trop souvent tue aux enfants dans les familles de migrants.

 

Une ouverture sur des actions inclusives.

 

Ces chantiers pourraient également avoir une dimension d’éveil à la formation professionnelle (chantiers) et/ou d’ouverture culturelle et interculturelle, mise sous le signe de l’inclusion. Inclusion sociale, culturelle, économique, citoyenne, notamment par la formation professionnelle.

 

Ils permettraient d’offrir aux jeunes les moyens de transformer la fragilité provoquée par cette multiplicité d’identités en force positive, pour son bénéfice individuel, celui de sa famille, ainsi que pour celui des sociétés d’accueil et d’origine.

 

Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles du Centre pour l’Intégration en Méditerranée. Le contenu de cet article n’engage également que l’auteur, et non ses institutions d’attache.

 

[1] Françoise Dolto compare l’individu à cette période de vie à un homard qui s’est débarrassé de sa carapace d’enfant, trop étroite, et se trouve fragilisé avant d’en fabriquer une autre à sa taille d’adulte.

[2] L’EI fait une propagande simpliste, très moderne, tout à l’envers de celle d’Al Qaida qui diffusait de longs prêches religieux, portés par des barbus sexagénaire et rébarbatifs, qui n’intéressait pas les jeunes. Rien de tel avec EI : on fait dans le sensationnel, on écrit une épopée macabre avec des images choc, qui magnifie la mort de soi et de l’autre, épopée dont on peut être l’un des héros, très vite, ici ou là-bas.

[3] Un jeune autochtone d’une petite ville des Ardennes (Nord-Est de la France) ravagée par la désindustrialisation et le chômage disant à un vieil immigré qui racontait l’histoire de sa vie, cette phrase terrible : « vous, au moins, vous avez une origine ! ».

 

Jacques OULD AOUDIA

Jacques Ould Aoudia est chercheur en économie politique du développement.

Activité professionnelle: Jusqu’en 2011 : Économiste à la Direction Générale du Trésor (Ministère de l’Economie, France): analyse des fondements institutionnels et de l’économie politique du développement, notamment dans le monde arabe. Chercheur associé à l’Institut Royal des Etudes Stratégiques (IRES, Maroc).

A titre bénévole: Président de l’association « Migrations & Développement » créée en France par des migrants marocains en 1986. Site web de l’association : http://www.migdev.org/   

Auteur de plusieurs publications:   desquelles: Captation ou création de richesse? Une convergence inattendue entre Nord et Sud, Gallimard, Le Débat n°178, Janvier-Février, 2014 ; Des migrants marocains acteurs du développement, (avec Yves Bourron), Hommes & Migrations No.1303, Juillet-Septembre, 2013.

Site web de l’auteur: http://www.jacques-ould-aoudia.net/

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